Une petite histoire disruptive
des outils de vie scolaire

Anne-Sophie
11 min readJul 27, 2022

L’impact du numérique dans la relation parents-Ecole
en France dans le 2nd degré

Contexte, acteurs et technologie

La massification de l’enseignement secondaire a fait passer le nombre d’élèves obtenant le baccalauréat de 5% d’une classe d’âge en 1950 à 79,6% en 2017 en France(1). Ce volume d’élèves associé au nombre croissant de matières enseignées au collège et au lycée a transformé la constitution des emplois du temps en un véritable casse-tête pour les chefs d’établissement à chaque début d’année scolaire. Face à cet enjeu, les outils informatiques sont des promesses alléchantes pour aider sur l’élaboration des emplois du temps, mais aussi sur la saisie des bulletins de notes ou de compétences, et sur la gestion quotidienne des présences et absences des élèves du 2nd degré. Ajouté à cela la nécessité de communiquer avec les parents de manière asynchrone, les outils informatiques vont également permettre la communication de toutes les informations du “dossier élève” — y compris la facturation pour les établissements privés. Également, le cahier de texte, vecteur entre l’école et la maison, se numérise naturellement, et son utilisation explose avec la crise sanitaire liée au COVID-19 et l’obligation de confinement à la maison pour les classes.

Fig.1 Les outils de vie scolaire et les besoins auxquels ils répondent (Source : Anne-Sophie Pionnier)

Ces outils informatiques sont communément appelés “outils de vie scolaire”. Ils sont choisis, déployés et gérés par les chefs d’établissement et le personnel de vie scolaire. Les potentiels utilisateurs en France dans le 2nd degré en sont les presque 10 000 000 de parents, les 5 676 500 élèves, les 488 800 enseignants et les plus de 15 000 personnels de Direction(2). Les outils de vie scolaire sont souvent inclus dans les ENT. “Un espace numérique de travail (ENT) désigne un ensemble intégré de services numériques choisis et mis à disposition de tous les acteurs de la communauté éducative d’une ou plusieurs écoles (…). Il constitue un point d’entrée unifié (…)”(3). Pour simplifier, les ENT ne sont ni plus ni moins que les outils de vie scolaire auxquels sont ajoutées les fonctionnalités de création de ressources pédagogiques ainsi que la capacité à communiquer entre établissements. En France, initiés par le Ministère de l’Education Nationale dans les années 90, les ENT sont développés par des entreprises dédiées telles Kosmos ou ODE, à destination des régions pour les lycées et à destination des départements pour les collèges. Certains établissements utilisent uniquement les fonctionnalités à leur disposition dans l’ENT tandis que la majorité y inclue un outil de vie scolaire comme PRONOTE développé par Index Education de Docaposte ou EcoleDirecte par le groupe Aplim. PRONOTE ciblant plus particulièrement les établissements scolaires publics et EcoleDirecte les établissements privés.

A ce jour, la quasi-totalité des lycées, 90% des collèges et 17 000 écoles publiques en France se sont équipés d’un ENT (4). Index Education annonce qu’avec plus de 3,63 milliards de connexions authentifiées, son logiciel de vie scolaire PRONOTE fédère toute la communauté éducative (personnels, enseignants, parents, élèves)(5). Son fondateur, Olivier Calderon, parle de 15 millions d’utilisateurs(6). EcoleDirecte, le 2ème outil de vie scolaire le plus utilisé en France affiche 3,9 millions d’utilisateurs sur son site Web(7). Ces chiffres montrent qu’en terme de marché et d’industrie, les outils de vie scolaire et les ENT se situent en phase de début de maturité pour le 2nd degré en France (voir Fig 2.). A noter qu’ils se situent en phase de début d’adoption pour le 1er degré.

Fig. 2 Everett M. Rogers’ bell curve — Technology Adoption Lifecycle (8) (Source : Wikipedia)

Depuis plus de vingt ans, l’Institution scolaire en France voit s’implanter les outils numériques au service des enseignants et des élèves, ainsi que des parents. La technologie est venue changer la façon de communiquer entre enseignants et familles et ainsi modifier la relation. En quoi la technologie a-t-elle eu un impact fort sur la relation parents-école ? Il s’agira d’étudier d’abord ce bouleversement dans le quotidien de chaque acteur.

Impact des outils de vie scolaire sur le quotidien des enseignants

Le choix des outils et du calendrier de déploiement des projets d’informatisation de la vie scolaire repose sur les chefs d’établissement. Ce sont eux qui achètent et initient. Pour eux, la nécessité tient à l’utilité de centraliser l’appel quotidien des élèves et les bulletins de notes trimestriels ou semestriels, ainsi que l’information vers les parents. Qu’en est-il des enseignants, utilisateurs qui alimentent ces outils par l’appel qu’ils font en classe, la saisie des notes et des compétences, la communication des devoirs à faire à la maison ?

Avant les outils numériques, ces activités et informations étaient transmises aux parents en direct ou par l’intermédiaire de l’élève/enfant avec tout le risque d’erreur manuelle possible. La promesse des outils de vie scolaire pour les enseignants était de réduire le temps passé sur les tâches administratives au profit du temps passé sur leur métier de pédagogie et de transmission auprès de l’élève. Cependant, la mise en place et l’acceptation de ces nouveaux outils nécessite deux éléments importants : matériel et formation. Les collèges et lycées ont dû équiper les salles des profs d’ordinateurs, mais les enseignants se plaignent du peu de terminaux disponibles par rapport au nombre de professeurs devant les utiliser, ainsi que de l’obsolescence de ce matériel. Il semblerait que l’équipement des élèves (quand il y a eu) ait été prévu avant celui des enseignants. De plus, le caractère nomade des enseignants du 2nd degré (pas de bureau à eux à l’école, parfois enseignant dans plusieurs établissements, préparation des cours et correction des copies souvent effectuées à la maison) nécessite un matériel personnel. Depuis peu, une prime annuelle de 150€ est versée aux enseignants pour leur équipement informatique, couvrant une faible partie de leur dépense annuelle. Quoiqu’il en soit, l’achat de matériel individuel est motivé depuis vingt ans par une curiosité toute personnelle et un goût pour l’informatique, rendant aléatoire les professeurs équipés ou non.

La formation des enseignants est un enjeu considérable pour amplifier et faciliter l’usage des outils de vie scolaire. Or, celle-ci est quasiment inexistante pour les enseignants dans le cadre des établissements scolaires et repose souvent sur de la débrouille auprès des pairs ou de sa propre famille conciliante, voire de ses propres enfants(9). Les éditeurs tels Index Education ou le groupe Aplim assurent la formation des chefs d’établissement acheteurs et leur délèguent la responsabilité de la formation des équipes pédagogiques en leur fournissant de la documentation et des tutoriels. Quant aux futurs enseignants, peu est prévu au programme de formation et c’est à l’initiative des équipes pédagogiques des Inspé (Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation) que de proposer 1h de présentation ou démonstration d’un ENT. Les nouveaux professeurs vont plutôt être formés “sur le tas”, par leurs pairs, lors de leurs stages en établissement.

En parallèle des changements d’habitudes de travail canalisés par le matériel et la formation, l’impact de l’utilisation des outils de vie scolaire est grand sur le rapport des enseignants au temps. Temps de travail et temps de vie personnelle se mélangent, lieu de travail et bureau à la maison cohabitent. Les enseignants doivent trouver de nouveaux rythmes de travail qui n’impactent pas négativement leur vie privée. Les outils vont à la fois créer le bouleversement et proposer de le résoudre, comme PRONOTE qui, depuis la rentrée 2021, propose aux enseignants une fonctionnalité leur permettant de déconnecter les soirs et week-ends en mettant sur pause les notifications(10).

Les difficultés d’équipement et de formation des enseignants, leur nouveau rapport au temps et au lieu de travail, jouent un rôle considérable sur l’adoption des outils de vie scolaire. Cette adoption s’est faite sur plusieurs années, voire décennies et on ne peut donc pas parler de rupture brutale, mais bien d’un changement progressif des habitudes de travail. C’est dans ce contexte que le confinement imposé, lié à la crise sanitaire du Covid-19 en mars et avril 2020, en France, a servi d’accélérateur dans l’utilisation des outils de vie scolaire. On peut alors parler d’un véritable effet de levier du confinement sur l’utilisation des outils numériques. Cet effet de levier a été plus ou moins brutal selon l’état d’avancement du numérique de chaque établissement : moins violent pour ceux qui avaient déjà une solution fonctionnelle en place et beaucoup plus pour ceux qui n’en avaient pas.

Impact des outils de vie scolaire sur le quotidien des parents

De l’autre côté de la relation, il y a les parents. Qu’est-ce que les outils de vie scolaire ont changé pour eux ? Tout d’abord, ils leur ont permis de créer un nouveau lien, paradoxalement, beaucoup plus direct avec l’Ecole. Les parents deviennent autonomes dans l’accès à l’information et ont beaucoup moins besoin de dépendre de leur enfant pour connaître leur charge de travail (devoirs), leur progression dans les résultats (notes), leur assiduité (retards, absences). Contrairement à l’école maternelle et primaire pour laquelle le contact avec les enseignants peut avoir lieu en début de journée ou à la sortie de l’école, les parents de collégiens ou de lycéens dépendaient beaucoup du bon vouloir de leur enfant pour accéder au cahier de liaison ou aux agendas papier, pour se faire un avis sur l’équipe pédagogique. L’utilisation du numérique ôte un intermédiaire, l’enfant, qui n’était pas neutre dans la relation parents-Ecole. En contrepartie, le débat s’ouvre concernant l’équilibre entre les avantages pour les parents et le besoin d’autonomie des élèves.

Ce recul de l’intermédiaire sur l’accès à l’information est accentué par la nouvelle possibilité d’entrer en discussion avec les enseignants via les messageries sécurisées intégrées aux outils de vie scolaire. Là encore, dans l’échange, dans la discussion, il n’y a plus l’intermédiaire que représentait l’enfant. La communication digitale remplace-t-elle la communication physique directe ? Je ne le pense pas car elle semble prendre la place du cahier de liaison et non pas des réunions parents-professeurs. Elle prend une place qui était vacante. Les outils de vie scolaire permettent aux parents de rentrer par la fenêtre digitale quand la porte physique de l’école se referme.

Comme pour les enseignants, un autre changement est celui du rapport au temps. Les parents peuvent maintenant communiquer avec l’Ecole de manière asynchrone, hors de leurs horaires de travail ; ce qui les arrange bien. Ils peuvent ainsi envoyer et recevoir des emails via la messagerie sécurisée et échanger avec les enseignants ou le personnel administratif de l’Ecole de leur enfant à tout moment. Même si les enseignants répondront sur leurs horaires de travail, les parents, eux, peuvent écrire leurs messages à n’importe quel moment. Le rapport au temps change d’autant plus que les outils de vie scolaire sont tous en format mobile, format très utilisé par les parents qui peuvent consulter les devoirs à faire de leurs enfants pour le lendemain, sur le trajet du retour, après le travail, à partir de leur smartphone.

Les outils de vie scolaire permettent aux parents de suivre la scolarité de leurs enfants de manière plus instantanée en ayant accès quotidiennement aux notes et aux devoirs. De plus, ils reçoivent également instantanément un message si leur enfant est absent ou en retard à l’école. C’est ce rapport au temps beaucoup plus spontané et instantané, qui est un changement notable.

Devant ce constat de changement, qu’en est-il de l’adoption des outils de vie scolaire par les parents ? Elle est marquée par trois types d’usage : un usage régulier et modéré qui constitue la grande majorité des utilisateurs, et deux usages extrêmes. Le premier usage extrême est celui, boulimique, de parents consultant les notes de leurs enfants plusieurs fois par jour pour se rassurer, comme s’il s’agissait de leur propre réussite. Le deuxième usage extrême est celui au contraire, des parents n’ayant pas les moyens matériels ou la formation pour accéder aux outils numériques. Ce dernier type de non usage est révélateur de la fracture numérique en France. Dans l’étude que j’ai réalisée en février 2021 auprès de 256 parents, ceux-ci consultent les outils de vie scolaire en moyenne 1 à 3 fois par semaine. Seulement 5% semblent désengagés digitalement et 9% semblent avoir un comportement compulsif (pour la grande majorité au collège)(11). L’usage régulier et modéré, ni trop abusif, ni trop inexistant reste donc majoritaire, mais la tendance doit continuer à être surveillée.

On peut maintenant affirmer que les outils de vie scolaire sont rentrés dans le quotidien de bon nombre de parents, voire même dans leur langage courant. Pour preuve, PRONOTE, l’outil le plus répandu en France, devient un nom commun : mon pronote, sur pronote, dans pronote, etc. L’outil est tellement entré dans le quotidien des français que le magazine l’Etudiant cite la marque PRONOTE dans un de ses agendas comme si c’était l’outil utilisé de tous les parents (cf Fig. 3 ci-dessous).

Fig. 3 Dessin humoristique dans l’agenda L’Etudiant citant Pronote (Source : agenda L’Etudiant)

Si l’on compare l’acceptation des outils par les parents à celle des enseignants, on remarque un plus grand engouement de la part des parents : ils les utilisent par véritable besoin et par envie. Pour les enseignants, c’est différent. Les outils leur sont plutôt imposés par les chefs d’établissement. Cette différence des deux côtés peut expliquer que l’adoption de tels outils puisse être freinée par les enseignants et accélérée par les parents et, plutôt qu’une révolution, constituer une adoption tempérée et inégale dans le temps.

En conclusion, il est intéressant de comprendre en quoi les outils de vie scolaire sont un vrai élément disruptif : la preuve en est qu’on ne reviendra jamais en arrière. Ils ne sont pas un effet de mode mais bien des outils accompagnant le changement dans la relation Parents-Ecole. Il apparait maintenant inenvisageable de faire les emplois du temps à la main ou de revenir à un usage unique du carnet de correspondance ou des bulletins de notes papier. Bien sûr, de nombreux établissements scolaires sont en phase de transition en maintenant à la fois le papier et le numérique mais pour combien de temps ? Si l’on a une réflexion globale, le changement est plus long pour les enseignants qui enseignent pendant plus de 40 ans et sont donc plus réfractaires au changement que les parents qui sont parents d’élèves au collège et lycée pendant 7 ans. Plus difficile alors pour les parents de dire que “c’était mieux avant”…

  1. Mettetal, B. — Massification et démocratisation de l’accès à l’école et à l’enseignement supérieur, article publié par le site SES-ENS, 1er paragraphe du chapitre “La massification de l’enseignement secondaire et de l’accès au baccalauréat”, 1er septembre 2020. http://ses.ens-lyon.fr/ressources/stats-a-la-une/massification-et-democratisation-de-lacces-a-lecole-et-a-lenseignement-superieur
  2. Ministère de l’Education Nationale, de la Jeunesse et des Sports — L’éducation nationale en chiffres 2020, infographie publiée par le site education.gouv.fr, août 2020. https://www.education.gouv.fr/l-education-nationale-en-chiffres-2020-305457
  3. Direction du Numérique pour l’Education — SDET Schéma Directeur des Espaces numériques de Travail pour l’enseignement scolaire, Document principal version 6.3 — Chapitre 3. Définition d’un espace numérique de travail, page 16, juillet 2019 Document principal du SDET version 6.3
  4. Ministère de l’Education Nationale, de la Jeunesse et des Sports — L’état du déploiement des Espaces Numériques de Travail — Infographie publiée par le site eduscol.education.fr, décembre 2021 — https://eduscol.education.fr/1567/l-etat-du-deploiement-des-espaces-numeriques-de-travail.
  5. Index Education — Une entreprise au service de l’École, article publié par le site index-education.com, 5ème paragraphe, 2021. https://www.index-education.com/fr/presentation.php
  6. EdTech France — @Pronote & @Docapost pour le prix «Instruction Numérique», tweet publié par le compte Twitter @EdtechFrance, 16 décembre 2021. https://twitter.com/EdtechFrance/status/1471565535737434119
  7. Groupe Aplim — page d’accueil, article publié par le site aplim.fr, 2021 https://www.aplim.fr/
  8. Rogers, E. — Technology adoption life cycle/Rogers’ Bell Curve, graphique publié par le site wikipedia.org, 2021. https://en.wikipedia.org/wiki/Technology_adoption_life_cycle
  9. Lanéelle, X. — Utilisations et représentations spatio-temporelles du numérique par des enseignants du secondaire, article publié par Distances et médiations des Savoirs, chapitre 2.2…vs Silver surfer, 2017. https://journals.openedition.org/dms/2001#ftn1
  10. Index Education — Droit à la déconnexion, article publié dans l’aide en ligne de PRONOTE, 2021. https://doc.index-education.com/fr/pronote/pronote/PRONOTE/D/Droit_%C3%A0_la_d%C3%A9connexion.htm
  11. Pionnier, A-S. — L’impact des outils numériques sur la relation parents-Ecole, article publié par le site medium.com, 5ème paragraphe du chapitre “Les usages des outils numériques par les parents dans la relation avec l’école”, 12 juillet 2021. https://asuca.medium.com/infographie-limpact-des-outils-num%C3%A9riques-sur-la-relation-parents-%C3%A9cole-eae6641c668d
Source : photographie de Christian Ziegler, Nat Geo Image Collection

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