L’éthique dans la relation digitale parents-école (3 / 3)

Anne-Sophie
8 min readAug 20, 2021

Ecole à la maison pendant le confinement : regard bienveillant ou défiance des parents sur le travail des enseignants ?

« Ce qui m’a interpellé pendant cette période [de confinement], c’est que la forme scolaire avait explosé. On n’avait plus ce rendez-vous dans ce lieu précis qu’est l’école. Et ces enfants éparpillés sur un chemin. On ne savait pas trop où il menait. Mon idée était de les mettre sur le chemin et de jouer ce rôle, un peu comme un équilibriste, de tendre le bâton. Alors je n’étais pas toute seule. D’un côté, il y avait le rôle de l’enseignant, de l’autre côté, il y avait les parents. Et ça, c’était nouveau ! », affirme Marie Soulié, professeure de français en collège, lors de l’émission du 24 septembre 2020 à la Maison de la radio.(1)

Dans ce troisième article sur les sujets éthiques dans la relation digitale parents-école, je souhaite aborder le sujet de l’impact de l’école à la maison lors du confinement lié à la pandémie de Covid. Marie Soulié, ainsi que de nombreux autres acteurs et spectateurs de cette période ont mis en avant le nouveau rôle des parents.

Un contexte de changement non programmé

Lors du premier confinement du 17 Mars au 11 mai 2020 dû aux mesures sanitaires pour lutter contre la Covid-19, les écoles primaires et les collèges de France ont fermé leurs portes. Enseignants, élèves et parents n’ont eu que quelques jours pour organiser ce que l’on a plus tard appelé la « continuité pédagogique » et qui consistait à passer d’un lieu physique d’apprentissage à l’école, à un lieu digital d’apprentissage à la maison. Ce changement sans précédent et non programmé a véritablement bouleversé tous les acteurs de l’Education dans leur façon de travailler, de s’organiser, de communiquer et d’aborder les outils numériques. Cependant, cette situation a pu être vécue différemment en fonction de l’équipement et de l’expérience passée dans l’utilisation d’outils numériques. La ligne de départ n’était pas identique pour tous les enseignants, élèves et parents. Ainsi, « les compétences numériques des parents d’élèves ont été perçues comme quasiment aussi problématiques que celles des élèves » (2)

Source : Ecole, numérique et confinement en France / infographie réseau Canopé

Des rôles bouleversés ou qui s’inversent

Du jour au lendemain, la maison est devenue l’annexe de l’école et les outils numériques pour communiquer entre enseignants, chefs d’établissements d’un côté et élèves, parents de l’autre sont devenus indispensables. Tout à coup, ce ne sont plus les parents qui devaient rentrer à l’école « par la fenêtre du digital »(3) mais plutôt aux enseignants et aux directions d’établissements de frapper à la porte des parents et de leurs enfants… Un véritable changement d’angle de vue sur l’apprentissage pour tous les acteurs de l’éducation.

Pour les enseignants, impossible de ne pas passer par les parents pour communiquer, surtout avec les plus jeunes élèves. Un intermédiaire au quotidien apparaît et se met entre eux et les apprenants. Surtout, les enseignants doivent leur faire confiance, ils n’ont pas le choix. Ils doivent aussi faire confiance au numérique pour communiquer avec les parents et les enfants. Or, l’utilisation et l’aisance avec les outils numériques est variable : « une très forte majorité d’enseignants (96,5 %) utilisait les outils numériques pour travailler avant le contexte de confinement, et 69,2 % s’estimait à l’aise avec ceux-ci. Pour autant, cela ne signifie pas qu’ils étaient préparés à l’enseignement à distance, les outils numériques étant jusqu’alors utilisés en support d’un enseignement traditionnel, avec une faible part d’enseignants ayant expérimenté la classe virtuelle avant le confinement. »(2) L’exercice n’est donc pas aisé et les enseignants se sentent plus ou moins à l’aise. Difficile de s’entraider entre collègues puisqu’il faudrait le faire par le digital et que chacun est concentré sur la mise en place de sa propre pédagogie. Concernant les outils, la plupart des enseignants deviennent donc des apprenants, d’autant plus que les conditions sont celles d’une situation de crise.

Pour les parents, ce n’est pas seulement un changement de méthode et d’outils mais un changement de métier ! Du jour au lendemain, ils se transforment en enseignants à la maison ou du moins doivent-ils accompagner l’apprentissage de leur enfant, surtout pour les classes de primaire mais aussi de collège. Or, la plupart n’a ni la compétence (formation en pédagogie), ni la légitimité (l’enfant les considère comme leur parent avant tout), ni la connaissance dans certaines matières qu’ils peuvent ne pas maîtriser, ni le temps puisqu’ils doivent aussi assurer leur « continuité de travail » souvent en télétravail. « Pour 45 % des parents, le stress vis-à-vis de l’École a augmenté. »(2)

La qualité, la diversité et la quantité de ce que reçoivent les parents et les élèves de la part des enseignants est très variable. La plupart des enseignants fournissent les ressources pédagogiques mais la plupart des jeunes élèves ne sont pas suffisamment autonomes pour utiliser ces ressources et effectuer le travail demandé seuls. Les conditions de travail dépendent des parents. Or, il y a eu de nombreux témoignages, particulièrement dans les médias, de parents remerciant les enseignants pour leur travail et réalisant la difficulté des métiers de l’enseignement, mais a-t-on entendu beaucoup de remerciements de la part des enseignants envers ces parents qui ont permis, eux aussi, la continuité pédagogique ? Dans ce sens, certains parents ne se sont pas sentis reconnus dans leur implication.

De plus, les parents n’ont pas eu le sentiment d’un rapprochement avec les enseignants. Ainsi, dans une enquête en ligne auprès de 256 parents d’enfants scolarisés en France de la maternelle jusqu’au lycée (4), à la question « Le confinement et l’école à la maison ont-ils permis un rapprochement avec les enseignants ? », les parents ont répondu « Pas du tout » et « Plutôt non » pour 46%.

Un regard plus critique de la part des parents et une défiance opérationnalisée

Pendant le confinement, les parents ont pu entrer en contact direct avec les enseignants et parler bien-être de leur enfant mais également pédagogie. Ils ont pu également observer la quantité et la qualité des ressources pédagogiques transmises par les enseignants à leur enfant. Ils ont pu remarquer la facilité ou la difficulté des enseignants face aux outils digitaux. A ce moment-là, ils ont eu les moyens de devenir critiques quant aux compétences des enseignants, de façon positive ou négative.

Les enseignants ont pu se sentir observés, voire jugés, par les parents dans leurs compétences, leur manière d’enseigner.

A ce titre, on peut affirmer que le confinement de Mars 2020 a été un facteur d’accentuation de la critique (positive ou négative) par les parents. Il faut dire que le confinement a permis aux parents de s’immiscer plus dans le travail des professeurs et parfois de le juger. Et tout ceci, à distance, amplifiant la critique dans un sens ou un autre.

A ce stade, il me semble intéressant de mettre en parallèle les recherches d’Alexandre Monnin, mises en avant dans la vidéo “Penser le numérique”.(5) Il réfléchit sur la notion de monde numérique et prend justement l’exemple de la confiance pour appuyer son propos :

Pour moi, ce que fait le numérique, c’est qu’il s’empare d’un certain nombre de concepts, de pratiques, de valeurs. Il les formalise, il les opérationnalise, il les numérise tout simplement, mais ce faisant, il les transforme. Je peux prendre un exemple pour illustrer mon propos : celui de la confiance numérique. La confiance telle qu’elle est définie par les sociologues va plutôt consister à ne pas savoir quelque chose. En fait, la confiance est de l’ordre du non-savoir. Si je confie mon fils à ma nounou, et que je mets un dispositif avec des caméras qui la filment 24 heures sur 24, je ne fais pas confiance à ma nounou, d’accord ? Donc on va avouer que le numérique ici, avec cette idée de surveillance, de générer des traces qui vont permettre de suivre tout ce qui se passe, finalement, n’est pas un dispositif de confiance, mais de défiance, envers la nounou. La confiance, ce serait “je lui confie mon fils, je ne sais pas ce qui se passe, mais j’accepte malgré tout de lui confier mon fils”. C’est ça faire confiance à quelqu’un. Et d’une certaine manière, en opérationnalisant la confiance, on aboutit au résultat inverse : on opérationnalise la défiance. Le numérique transforme les valeurs ou les entités qu’il opérationnalise. Et parfois il les transforme dans le sens opposé de ce qu’elles étaient précédemment.

Comme Alexandre Monnin le souligne dans sa vidéo, le numérique peut transformer la valeur de la confiance en défiance. Suite au confinement et à l’école à la maison, les parents ne vont-ils pas opérationnaliser cette défiance vis-à-vis des enseignants ? Ayant accompagnés eux-mêmes leur enfant dans leur apprentissage pendant le confinement, les parents ne vont-ils pas se sentir mieux armés pour juger le travail des enseignants dans le futur ?

Une co-éducation encore plus d’actualité

Pour pallier cette déviance, il me semble important d’aborder le sujet de la co-éducation qui consiste à ce que les enseignants associent les parents dans l’apprentissage des enfants. Le confinement a permis à de nombreux parents de s’impliquer dans l’apprentissage de leurs enfants et aux parents qui étaient déjà impliqués avant, de l’être d’avantage. Ils vont donc être demandeurs de plus de co-éducation avec les enseignants. Ainsi, « l’élément central dans la modification du regard concerne la relation avec les élèves et les parents. Les enseignants expliquent avoir davantage communiqué qu’en temps ordinaire avec les familles et les élèves, ce qui a contribué à une meilleure connaissance mutuelle et a renforcé l’implication des parents dans la co-éducation, un élément qu’ils semblent avoir apprécié. » (2)

Les outils numériques ont un rôle à jouer pour favoriser cette co-éducation. Le confinement a donné un véritable essor aux outils numériques de la relation parents-école et, aux dires des éditeurs et fournisseurs de logiciels, le nombre de connexions vient attester que cette tendance reste pérenne même après le confinement.

A suivre donc…

(1) Et si on changeait l’école ?, un événement franceinfo et WE Demain suivi à la Maison de la radio ou en direct digital. Conférence le Jeudi 24 septembre 2020 19h00 à la Maison de la radio et de la musique — Studio 104.

(2) École, numérique et confinement : quels sont les premiers résultats de la recherche en France ?, Diane Béduchaud, Ifé-ENS de Lyon, Alexandra Coudray, Réseau Canopé, Edwige Coureau-Falquerho, Ifé-ENS de Lyon, 2020.

(3) Partie #2 L’œil des parents sur l’enfant à l’école : implication, surveillance, contrôle ou autonomie ? Article L’éthique dans la relation digitale parents-école (1/3), 19 juillet 2021.

(4) Enquête Questionnaire Parents, LimeSurvey, Anne-Sophie Pionnier, Etudiante Master SmartEdTech, Université Côte d’Azur, février 2021.

(5) Vidéo La notion d’ontologie, Penser le numérique, Alexandre Monnin, Inria, 28 avril 2017.

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Anne-Sophie

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