L’éthique dans la relation digitale parents-école (1 / 3)

Anne-Sophie
7 min readJul 19, 2021

Surveillance pesante du parent sur son enfant à l’école ou implication bénéfique ?

Un peu de contexte : l’expansion des outils numériques

Le numérique est partout dans nos vies et le secteur de l’éducation n’échappe pas à ce changement. En France, dès la fin des années 1990, les collèges se sont équipés d’outils numériques pour gérer l’administratif (exemple : EcoleDirecte par Aplim). Puis, le besoin est venu d’être assistés sur le casse-tête des emplois du temps (Pronote par Index Education). Rapidement, avec la mise en place des ENT (Espaces Numériques de Travail) poussés par le Ministère de l’Education Nationale, de nombreux outils sont apparus pour permettre aux enseignants de développer les activités digitales avec les élèves (Beneylu, Edumoov, Kosmos). De façon naturelle, ces outils de vie scolaire se sont ouverts aux parents (KidsCare, Klassroom). Une messagerie sécurisée et organisée (listes de diffusion, gestion des droits d’accès en fonction du profil) est utilisée pour échanger avec les enseignants, les chefs d’établissement, les fonctions administratives et médicales, les élèves et les parents. Souvent il existe des comptes et des droits d’accès différents pour les familles et pour les élèves. A ce jour, 83% des collèges publics en France sont équipés d’un ENT(1). Les écoles primaires s’équipent également petit à petit, mais plutôt à partir du besoin de communiquer avec les parents et de se servir des ENT comme vitrines des travaux réalisés avec les élèves (blogs, photos, vidéos). Enfin, dans le cadre de la nécessaire continuité pédagogique lors du confinement de Mars 2020 en France, l’utilisation des outils numériques a connu une croissance exponentielle.

L’œil des parents sur l’enfant à l’école : implication, surveillance, contrôle ou autonomie ?

Le premier sujet éthique de l’explosion du numérique dans la relation avec les écoles est le contrôle sans précédent par les parents des activités, des comportements et des résultats de leur enfant à l’école. Face à une porte qui se ferme devant eux tous les matins quand l’enfant rentre dans son école, les parents tentent de rentrer par la fenêtre du digital… Ils ont d’abord accès à l’emploi du temps de leurs enfants. Ceci n’est pas un grand changement par rapport à l’emploi du temps collé sur le frigo ou glissé dans l’agenda personnel du parent. Ce qui change le plus, c’est l’accès, en temps réel, aux notes ou appréciations de l’élève. Au lieu d’une communication trimestrielle, voire semestrielle, le parent est notifié à chaque nouvelle note, dans toutes les matières. Il arrive même que le parent soit mis au courant de certaines notes, en ligne, avant l’élève, selon la façon dont l’enseignant organise le rendu des copies. D’un côté, le parent peut suivre les notes de son enfant et ainsi intervenir très tôt devant des difficultés d’apprentissage. L’outil numérique devient alors un outil au service de l’engagement, de l’accompagnement et du soutien parental envers l’enfant. De l’autre côté, la note risque de devenir le sujet prédominant des discussions parent-enfant. Moins de recul entraîne une dramatisation possible de LA mauvaise note. L’accès aux notes en temps réel n’est-il pas finalement plus une source de tension constante dans la relation parent-enfant qu’un outil bénéfique ? L’enfant se sent constamment contrôlé, surveillé. Il subit la pression des notes et des appréciations de façon très forte. Au collège, le but n’est-il pas d’aider l’élève à devenir de plus en plus autonome ? Le contrôle permanent des parents ne va-t-il pas à l’encontre de cette autonomie et cette responsabilité ?

Nous avons vu l’emploi du temps et les notes. Qu’en est-il de l’accès en temps réel aux absences et retards de l’élève ? Rappelons la responsabilité des parents vis-à-vis de l’école : cette responsabilité est définie dans l’article 371–1 du Code Civil : “L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. (…) pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.(2) L’instruction ou la présence scolaire de l’enfant font partie des responsabilités légales des parents. Ils peuvent être sévèrement réprimés pour l’absentéisme scolaire de leur enfant.(3) Dans ce cadre, l’accès aux absences en temps réel est un outil clé pour que les parents puissent exercer leur autorité lorsque l’enfant sèche les cours à leur insu.

La messagerie est un outil important des ENT et de la communication entre parents et école. Elle est sécurisée au maximum et permet une communication ciblée sur les acteurs de l’éducation de l’établissement, voire de la classe uniquement, voire des enseignants de la classe uniquement. Les règles d’accès et d’utilisation sont paramétrables et configurées par les chefs d’établissement et leurs équipes pédagogiques. Cette messagerie électronique permet donc aux parents d’envoyer des messages d’informations, des demandes de rendez-vous, des questions spécifiques à la Direction et aux enseignants sans avoir à se déplacer jusqu’à l’école ou appeler par téléphone, et à n’importe quelle heure, n’importe quel jour. Il s’agit donc d’un outil de communication supplémentaire adapté aux emplois du temps des parents qui travaillent ou ne peuvent se déplacer pendant les horaires et jours d’école. Mais, là encore, la messagerie, si elle est mal utilisée par les parents, peut avoir un impact négatif : elle peut être un moyen de harcèlement des enseignants ou des autres acteurs de l’école tant par la quantité de messages envoyés, que par les propos qui peuvent être proférés.

Dans les faits, peu d’usages extrêmes

Qu’en est-il dans la réalité ? C’est en partie pour répondre à cette question de l’utilisation des outils de vie scolaire que j’ai analysé les 256 réponses à un questionnaire en ligne envoyé à des parents d’enfants scolarisés en France en maternelle, primaire, collège ou lycée, en mars dernier. J’ai pu observer dans cette enquête que les parents, pour une grande majorité, n’avaient pas un usage compulsif des outils leur permettant d’accéder aux informations scolaires de leur enfant puisqu’ils les consultent en moyenne 1 à 3 fois par semaine. 9% cependant les consultent plusieurs fois par jour, ce qui me semble plus correspondre à une utilisation extrême. La plupart de ces usages compulsifs se font par des parents d’enfants au Collège, un âge souvent jugé plus difficile à gérer par les parents.

Un autre extrême qui a un impact fort sur la réussite scolaire des enfants est le désengagement des parents dans l’attention qu’ils portent à leurs études. Si on se fie à l’enquête en ligne réalisée et si ce désengagement peut être exprimé par l’absence d’interactions digitales des parents avec l’école, 5% des parents semblent désengagés. C’est à la fois peu et trop !

Un autre résultat intéressant dans les réponses au questionnaire est l’importance accordée aux notes par les parents. Celle-ci n’apparaît qu’en 6ème position bien après la confiance aux équipes ou l’accès à l’information sur le bien-être de l’enfant. Ce sont bien les relations humaines qui ont le plus d’importance aux yeux des parents.

L’école comme objet de consommation par les parents

Comme nous l’avons vu dans la partie contexte, les outils numériques favorisant la communication entre les parents et l’école sont aussi des vitrines des établissements scolaires. L’impact positif est que les parents peuvent voir ce que les enseignants font avec les élèves dans la journée, les activités et les projets développés. La maternelle, par exemple, souvent considérée comme une simple garderie, peut enfin mettre en avant ses réalisations et son vrai rôle pédagogique. Mais, qu’en est-il des écoles qui ne sont pas équipées ? Ou des enseignants qui n’utilisent pas ces nouveaux outils ? Une comparaison, voire une concurrence, se met en place à partir des moyens et des compétences digitales des différentes écoles. Les fournisseurs de solutions l’ont bien compris qui appuient leur argumentaire de vente aux établissements sur les aspects image, coût/rentabilité, compétitivité, à la pointe, etc. L’école devient un objet de consommation comme un autre et les parents ont tôt fait de faire l’analogie avec le monde de l’entreprise qu’ils connaissent mieux. Ils attendent des outils de relation avec l’école les mêmes fonctionnalités, les mêmes facilités d’utilisation que ceux qu’ils utilisent dans leur vie active.

Les bonnes pratiques à mettre en place

Le digital dans la relation Parents-Ecoles est-il “bon ou mauvais” ? Sur le plan déontologique (approche basée sur les droits), un outil supplémentaire pour favoriser la communication, l’implication des parents ne peut qu’être positive. Sur un angle utilitariste (approche basée sur les conséquences), si on additionne tous les effets néfastes sur les différents acteurs, notamment les élèves et les enseignants, le digital dans la relation parents-écoles peut être considéré comme négatif. Cependant, n’est-ce pas dans la mauvaise utilisation des outils numériques plutôt que dans leur existence que le problème se pose ?

S’il faut réfléchir aux bonnes pratiques à mettre en place pour que les outils de vie scolaire soient des outils au service de la relation parents-écoles, de nombreuses pistes existent :

  • Paramétrer l’accès aux notes non plus en temps réel mais de façon hebdomadaire ou bimensuelle ou mensuelle.
  • Aller chercher les parents qui ne se connectent pas en les contactant de façon personnalisée et en leur proposant une aide ou une formation aux outils.
  • Mettre en place des comités d’éthique au digital incluant des parents. En règle générale, inclure les parents dans le déploiement ou l’amélioration des outils utilisés par eux.

La question de l’éthique dans la relation digitale parents-école soulève d’autres sujets importants. La sécurité et la confidentialité des données du dossier élève ou encore l’impact du confinement et de l’école à la maison. Autant de sujets que je souhaite développer dans de futurs articles cet été et qui sont mes sujets de recherche en Master “MSc SmartEdTech, co-créativité et outils numériques pour l’innovation éducative”…

(1) L’état du déploiement des Espaces Numériques de Travail

(2) La brochure sur l’exercice de l’autorité parentale en milieu scolaire réalisée par la direction générale de l’enseignement scolaire, en coopération avec le médiateur de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur

(3) Absentéisme scolaire: les parents en prison par Thierry Vallat, Avocat au Barreau de Paris, mai 2017

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Anne-Sophie

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