Comment changer le regard des professeurs sur la relation avec les parents d’élèves ?

Le changement de soi avant de changer les autres. Croisade vers la conception d’un MOOC pour les professeurs.

Anne-Sophie
9 min readAug 29, 2022

La question “Comment gérez-vous le changement ?” amène à un double questionnement : comment gère-t-on le changement des autres et comment gère-t-on le changement pour soi-même ? Et si nous gérions le changement pour les autres comme nous aimerions qu’il soit géré pour nous-même ? Et si nous commencions par changer notre propre perspective avant de changer celle des autres ? Introspection et empathie semblent alors les deux maîtres-mots des éléments de réponse. C’est en gardant cela en tête que je m’efforce dans l’article ci-dessous de réfléchir au cas concret du changement du regard des professeurs sur la relation avec les parents d’élèves. Je m’appuierai sur la notion de coéducation pour illustrer ma réflexion.

1. Comprendre le contexte et les objections

Lorsque l’on veut changer les opinions, les angles de vue et l’implication des individus, la première étape est de bien comprendre le contexte, les enjeux et le profil des différents acteurs. Depuis plus de deux ans, je me spécialise dans la relation entre les parents et l’école en me documentant, recherchant, questionnant, discutant, analysant, synthétisant sur le sujet.

Fig.1 Photo illustrant l’empathie : se mettre dans les chaussures des autres, même trop grandes et trop nombreuses… SOURCE: photo libre de tout droit sur Internet.

Lors de sa conférence du 17 mars 2022 organisée par la Dgesco (MENJSR) et le réseau Canopé, Pierre Périer, Professeur en Sciences de l’éducation à l’Université de Rennes 2 — CREAD a traité de “La coéducation entre parents et école : conditions et enjeux”. Il différencie la vision de la coéducation qu’ont les professeurs de celle qu’ont les parents. Pour les premiers, la coéducation correspond prioritairement à “la responsabilité partagée entre parents et enseignants de l’éducation des enfants (pour 55%)”, tandis que, pour les parents, la coéducation correspond à “la responsabilité partagée entre parents et enseignants de l’instruction scolaire (pour 30%)”. On se rend bien compte que le contexte de la coéducation repose sur une vision différente des deux principaux acteurs. Pour Pierre Périer, la coéducation est une catégorie du discours, c’est une “action réciproque concertée dans l’éducation et les apprentissages au bénéfice de l’enfant” (Périer, P., conférence, 17 mars 2022). L’enjeu est de replacer les familles de manière à ce que l’école influe sur les élèves par eux et non plus l’inverse qui était d’influer sur les familles à travers les enfants. Il faut donc convaincre les professeurs, acteurs clés de la relation, des bénéfices de la coéducation pour les élèves, les parents et avant tout pour eux-mêmes.

Tout d’abord, il s’agit de comprendre les principales objections des enseignants. L’objection qui est commune à tous, quel que soit le profil, est le manque de temps, surtout quand il ne fait pas partie du temps consacré aux activités pédagogiques. Seulement 3% du temps de travail des enseignants est consacré aux relations avec les parents, soit environ 1h par semaine seulement.(1)(2) La relation avec les parents est donc loin d’être une priorité. Elle semble même trop difficile à appréhender devant l’ampleur du temps qu’il faudrait y consacrer. D’autres objections sont liées au niveau d’expérience des professeurs : pourquoi changer alors que la méthode en place semble fonctionner ? Si cela ne fonctionne pas, il est humain de parler d’abord d’un changement du profil type de l’élève et du parent mais il est plus difficile, selon la capacité au changement, de remettre en question sa propre méthode. Cette objection liée à l’expérience est moins vraie pour les jeunes enseignants ou les étudiants futurs professeurs, qui semblent plus en attente d’aide et de formation sur le sujet. Enfin, les professeurs peuvent ne pas voir le lien bénéfique entre la réussite scolaire d’un élève et la qualité de la relation avec sa famille. Pour résumer, les objections sont les suivantes : pas assez de temps, trop compliqué, pourquoi changer, je ne vois pas les bénéfices pour mon quotidien, pour ma carrière, pour le succès de l’élève.

Après les objections, les objectifs… Une conduite de changement s’appuie obligatoirement sur des objectifs. Mon objectif personnel est clair : être portée et porter le sujet de la coéducation. Mes objectifs professionnels sont variés mais je m’efforce de les centrer sur mon sujet de recherche et de toujours tenir le cap.

2. Capter l’attention par l’exemple

Pour changer l’opinion, le point de vue d’un individu, il faut d’abord attirer l’attention. Les professeurs sont des personnes au niveau d’étude élevé, avec une forte capacité d’analyse. Ils peuvent être touchés par des arguments chiffrés, documentés, argumentés. Il est donc indispensable de les leur fournir sous forme d’articles ou de posts sur les réseaux sociaux. Cependant, ils peuvent aussi rester dubitatifs devant les chiffres avancés, les enquêtes menées, les statistiques annoncés pour la même raison : leur capacité d’analyse… Les chiffres peuvent intéresser et attirer l’attention mais pour que les professeurs soient réellement captés, il leur faut des exemples concrets de réussite de la coéducation. Ces exemples existent en dehors de la France où la relation parents-école est historiquement plus apaisée et ouverte. Ainsi, aux Etats-Unis, des expériences de programmes incitant les enseignants à rencontrer les familles chez eux et non dans l’établissement scolaire ont permis de transformer sensiblement la relation parents-école. Ces programmes sont décrits en détail et chiffrés mais surtout, ils s’accompagnent de témoignages et d’interviews des principaux acteurs impliqués (Mapp, K. L. & Bergman, E. 2019)(3). Également, pour des pays comme la Finlande ou le Canada, on peut trouver d’autres rapports ou de nombreux articles dans la presse sur les innovations dans le domaine de la coéducation et ses bénéfices, ainsi que de nombreux témoignages. Cependant, ces exemples concrets sont susceptibles de soulever des objections de la part des professeurs qui vont mettre en avant les spécificités françaises et justifier de la difficulté à calquer ces modèles étrangers.

A ce moment de l’argumentation au changement, il est nécessaire de mettre en avant des témoignages de professeurs en France. Ainsi, celui de Jérémie Fontanieu, Professeur de sciences économiques et sociales au lycée Eugène Delacroix de Drancy, en Seine Saint-Denis. Il est l’auteur du programme Réconciliations qui met en avant l’impact d’un contact direct et régulier avec toutes les familles de ses élèves.(4) Pour lui, il est important que les parents comprennent les enjeux de chaque étape scolaire, qu’ils poussent leurs enfants à travailler tout en les soutenant au bon moment. L’histoire de ce projet est médiatisée et donne lieu à des reportages qui sont un bon moyen pour inspirer d’autres professeurs sur les bénéfices de la coéducation. Ici, les médias jouent un rôle de communication de masse.

Fig.2 Vignette de la vidéo présentant le programme Réconciliations

Une autre expérience à mettre en avant ici est celle de l’école élémentaire publique Leconte de Lisle de l’Académie de La Réunion qui met en avant sur les réseaux sociaux ses actions de proximité avec les parents. Dans les tweets ci-dessous qui informent, associent et remercient les familles, on sent que les parents sont des acteurs clés de cette communauté éducative.

Fig.3 Deux tweets postés sur Twitter par le compte @DuLisle et pour illustrer les communications entre l’école et les parents

Je crois sincèrement en la forte capacité de persuasion du partage d’expériences entre pairs. C’est inspirant, motivant et persuasif en ce sens que si d’autres ont réussi à changer, pourquoi pas nous ?

3. Les faire s’interroger pour les convaincre de changer leur opinion et leur méthode

Si l’exemple par les autres est un bon moyen de capter l’attention, arriver aux mêmes conclusions par soi-même est encore plus déterminant pour convaincre. C’est sur ce principe que je souhaite développer un MOOC pour les professeurs sur comment “Coopérer avec les parents d’élèves”. Au-delà d’une simple formation en ligne avec tous les éléments théoriques possibles, je souhaite amener les professeurs, par une série d’exercices rédactionnels sur leurs propres exemples au quotidien, à s’interroger sur leur propre méthodologie et leur point de vue. Un MOOC a cette caractéristique de proposer des activités interactives, de pouvoir partager ses contenus avec les autres apprenants qui, dans notre cas, sont d’autres professeurs intéressés pour en savoir plus sur la coéducation.

Voici quelques exemples d’exercices interactifs visant à faire s’interroger les apprenants :

Rubrique 1

  • Rédigez un texte entre 300 et 500 mots sur une expérience difficile avec un parent d’élève et expliquez comment vous avez géré le conflit. Aujourd’hui, avec le recul, le géreriez-vous de la même façon ?
  • En utilisant le Forum de discussion, exposez une expérience difficile que vous avez vécue ou imaginez-la et demandez des conseils aux autres apprenants. N’hésitez pas à leur poser des questions précises.
  • Sur le forum de discussion, répondez à deux messages de vos pairs professeurs.

Rubrique 2

  • Rédigez un texte entre 500 et 700 mots sur un projet de coéducation que vous souhaiteriez mettre en place dans votre école : enjeux, solution et bénéfices.
  • En utilisant le Forum de discussion, exposez un projet de coéducation que vous souhaiteriez mettre en place dans votre école et demandez des conseils aux autres apprenants.
  • Sur le forum de discussion, répondez à deux messages de vos pairs professeurs.

C’est parce que chaque individu, chaque professeur est différent dans son approche du changement que les méthodes et les outils doivent pouvoir s’adapter aux différents profils. Le processus de changement mettra plus ou moins de temps en fonction de la capacité de chacun à être réfractaire au changement mais aussi des circonstances du quotidien au moment T. Dans les ressources utilisées et les activités interactives, on veillera à varier : lectures d’articles ou de rapports, vidéos de témoignages, infographies, cartes mentales, podcasts, etc.

4. Les rendre acteur de leur propre changement pour consolider dans le temps

Le MOOC et toute formation interactive ont un impact fort pour finir de convaincre les apprenants en les confrontant à leur réalité. Je prévois des activités dans le MOOC où les professeurs créeront leurs propres ressources pour leur propre programme de coéducation: rédiger l’agenda de la réunion de rentrée avec les parents, créer une invitation, un poster, etc. Les faire faire par eux-mêmes a un impact encore plus fort que de les influencer ou de les faire réfléchir.

Une fois convaincus, les professeurs retournent dans leur classe et passent à l’action au quotidien dans leur propre méthodologie. C’est pour cela que l’accompagnement au changement ne doit pas s’arrêter là. La phase post-changement est tout aussi importante que celle du changement en elle-même. Avec le MOOC, une communauté est créée qu’il faut continuer d’animer pour conserver le momentum. Des événements en ligne peuvent être organisés : témoignages, tables-rondes, débats, etc. Toute idée événementielle, de réseaux sociaux, de blog est la bienvenue pour conserver le lien et donc l’attention. L’objectif étant que cette communauté continue de se soutenir dans le passage à l’action.

L’étape ultime du passage à un changement pérenne est le statut d’ambassadeur. En effet, à partir du moment où l’apprenant commence à informer ses pairs, promouvoir le MOOC, le parrainer voire même former lui-même ses pairs, c’est que le changement s’est enraciné. Le changement en masse agit comme un cercle vertueux et peut s’amplifier de façon exponentielle.

Fig.4 Schéma résumant le processus d’accompagnement au changement

Dans l’introduction, je me posais la question suivante : “et si nous commencions par changer notre propre perspective avant de changer celle des autres ?”. C’est le moment d’y répondre puisque la vision d’une pensée qui évolue toujours dans le temps, une opinion qui n’est pas statique engendre un changement de perspective constant. Nous évoluons dans un monde qui change constamment : des découvertes, des nouvelles technologies, des cultures qui se globalisent. Dans les années qui viennent, la coéducation sera touchée par de nombreux mouvements : la fracture numérique touchant les parents et élèves les plus défavorisés, l’immigration de familles de langues maternelles différentes, les pandémies, peut-être des professeurs aux profils de plus en plus variés, de nouvelles matières à enseigner, etc. Tous ces mouvements auront un impact sur la coéducation et ma pensée pourra être amenée à changer. Je devrais alors continuer ma croisade tout en restant vigilante à ce que l’évolution de mes opinions et de ma façon de les transmettre repose bien sur la recherche et sur l’éthique.

  1. Perronnet, S. (2022). Les enseignants du second degré public déclarent travailler plus de 40 heures par semaine en moyenne. https://www.education.gouv.fr/les-enseignants-du-second-degre
  2. Temps de travail des professeurs des écoles. (2019, October 16). Professeurs Des Écoles. https://www.professeurs-des-ecoles.com/obligation-de-service
  3. Mapp, K. L. & Bergman, E. (2019). Dual capacity-building framework for family-school partnerships (Version 2). Case 1 Stanton Elementary School. Pages 13–16.
  4. Benzina, J., Laquertier, J.-M., Puech, L., & Chouquet, J. (2021, September 16). Éducation : un professeur de lycée à Drancy veut faire réussir ses élèves en impliquant les parents. Franceinfo. https://www.francetvinfo.fr/impliquant-les-parents

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